Comment aider des personnes à s’approprier et transmettre leur histoire à leurs proches ? En participant à un atelier d’écriture, qui favorise le lien. Sophie Colas, animatrice dans une résidence seniors, nous explique comment animer un atelier de récit de vie. Elle a déjà réalisé plusieurs ouvrages au cours d’ateliers, avec des auteurs débutants.

RAVIVE : Vous avez déjà mené plusieurs projets de livres, quel fut le point de départ de ces initiatives ? 

Sophie Colas : « Il y a environ 3 ans, nous avons reçu la visite de responsables de Ravive aux Senioriales de Saint-Avertin (37). Nous avons été séduits par cette formule qui permettait de solliciter la mémoire des résidents et d’aboutir à la production d’un livre à un coût très raisonnable. Guillaume a d’ailleurs mené un petit atelier en leur direction au cours de cette présentation. Mais il fallait convaincre les participants qu’ils étaient capables de produire des textes ! Lorsque nous leur avons proposé ce projet, leur première réaction fut de dire qu’ils ne savaient pas écrire. Ils ont pourtant bien des choses à dire… Et j’avais envie de les aider à créer du lien entre eux. Alors quoi de plus fédérateur que les souvenirs d’enfance ? »

C’est avec cette idée de transmission de leur histoire aux générations futures que j’ai réussi à les convaincre de la nécessité d’écrire.

Comment vous-y êtes vous prise ?

« Lors des discussions préparatoires, ils se sont découvert des points communs. « Quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle » disait Amadou Hampâté Bâ. C’est avec cette idée de transmission de leur histoire aux générations futures que j’ai réussi à les convaincre de la nécessité d’écrire. C’est ainsi qu’est né notre premier livre : « Dis, c’était comment, avant ? ». Pour les deux suivants, le chemin était déjà tracé : ils n’avaient plus peur. Nous avons alors élargi notre horizon en co-écrivant un ouvrage avec des enfants de CM2 autour de photographies. Ils – enfin plutôt elles, puisque seules des femmes ont participé – se sont alors autorisées à laisser voguer leur imagination. Il s’agissait cette fois de réagir à des photos prises par les enfants en les décrivant parfois, ou en racontant des histoires, souvent très drôles. Les enfants devaient de leur côté se soumettre au même exercice avec des clichés que les seniors avaient pris pour eux. Nous avons alors bâti une sorte de mosaïque d’écrits et de visuels, ludiques et très stimulants. L’ouvrage « Regards Croisés : d’un siècle à l’autre » a vu le jour malgré le confinement. »

deux livres publiés par Ravive suite à l'atelier d'écriture de récit de vie
Les deux livres publiés par Ravive pour l’atelier de Sophie Colas et ses participantes de la résidence de Saint-Avertin

Comment s’organise un atelier d’écriture ? 

« Il me semble que la première des choses pour animer un atelier de récit de vie, est de créer un climat propice à la détente. Pour les seniors, écrire s’apparente souvent à une rédaction, telle qu’on leur demandait de produire à l’école. Or, elles sont des adultes et ne vont pas être jugées sur la qualité de leur écrit. Un petit thé, quelques gâteaux, permettent de poser le décor. Ensuite, je commence chaque atelier d’écriture par un moment de discussion « à bâtons rompus ». Prendre des nouvelles de chacun met en confiance. Puis je propose le thème du jour et nous en parlons. Qu’il s’agisse de souvenirs ou d’une écriture libre, je prends des notes en mentionnant le nom des interlocuteurs puis je leur donne la feuille correspondant à ce qu’ils ont pu dire au cours de la discussion. Ils disposent alors d’une base d’écriture qu’ils peuvent corriger, améliorer, compléter. Nous évitons ainsi le syndrome de la page blanche qui peut être très néfaste à l’estime de soi. Au fil des semaines, chacun s’empare de ses propres notes et rentre chez lui avec quelques idées. »

Nous n’écrivons pas toujours au cours de l’atelier mais nous y réfléchissons chaque fois ensemble.

Sophie Colas, animatrice

Comment faire face à la peur d’écrire ?

« Si certains sont à l’aise avec l’écriture, d’autres ont peur de « faire des fautes ». Il est important de les rassurer : je serai la seule à lire leur prose, et je m’engage à les corriger avant de la soumettre au groupe. Pour d’autres, tenir un crayon est difficile (arthrose, maladies, handicaps…) et j’écris sous la dictée. La plupart du temps, les personnes ont écrit chez elles, tranquillement, et m’ont redonné leur production lors de la séance suivante. L’écriture, comme je leur dis souvent, est un petit oiseau très peureux qui s’envole dès qu’il ne se sent pas en sécurité. Alors nous n’écrivons pas toujours au cours de l’atelier mais nous y réfléchissons chaque fois ensemble. Le groupe peut aussi aider une personne en mal d’imagination. J’ai souvent vu des participants donner quelques idées pour démarrer un écrit à celles ou ceux qui hésitaient. Et ça marche ! »

Quel est le moteur, la motivation des participants ? 

« Sans hésitation : la publication. Participer à l’écriture d’un livre, avoir leur nom à l’intérieur leur procure une grande fierté. « Et dire que j’étais mauvaise en rédaction » ai-je souvent entendu. « Voilà maintenant que j’ai écrit un livre ! ». Cela leur occupe également l’esprit. Bon nombre me disent dormir avec un crayon et une feuille de brouillon sur la table de nuit au cas où elles auraient une insomnie et une idée… Au lieu de ruminer des idées noires, elles écrivent. Beau pied de nez à la morosité, non ?
Et laisser une trace, c’est ne pas mourir tout à fait, non ? Je crois que cela les aide à se sentir vivants. »

En quoi Ravive vous aide-t-il ? 

« Ravive est un outil, non un carcan. Si vous n’avez jamais eu l’occasion d’animer un atelier de récit de vie, Ravive fournit des guides d’écriture très pertinents. Nul besoin d’avoir auparavant décroché le prix Goncourt pour initier un projet de ce genre. Cela est rassurant, sorte de parapet en cas de défaillance ou de trou noir. Mais en aucun cas vous n’êtes tenus de suivre la méthodologie proposée par Ravive. Ce n’est qu’une possibilité que cette structure vous offre, possibilité dont vous pouvez vous inspirer librement – ou non. »

Entretien à suivre…