Entretien avec l’auteure Danièle Weiller que Ravive a accompagnée pour écrire l’histoire de sa vie, intitulée « Eaux vives ».
A-t-elle choisi son titre pour sa promesse métaphorique des mots qui coulent de source et irriguent sa vie ? Car les « Eaux vives » de Danièle Weiller Médioni sont généreuses : plus de 300 pages, découpées en 36 chapitres ! Ravive a eu la joie d’accompagner l’auteure pour écrire un livre biographique. Elle avait déjà participé au récit collectif « Que reste-t-il de notre enfance? ».
C’est loin d’être le premier livre de Danièle. Elle a fait paraitre plusieurs ouvrages aux Editions Manson, sur les villes, la poésie, ou sur sa mère relieuse d’art. Au cours de notre entretien, elle revient sur son cheminement vers le récit biographique.
Vous vous êtes toujours intéressée au passé, vous écrivez même dans votre livre « être née avant votre naissance »…
D.W. : Ce sont des paroles de Pierre Goldmann que je reprends comme peuvent le faire beaucoup de personnes de ma génération nées pendant la 2è Guerre. Quand j’étais petite, le passé se rappelait à nous au quotidien. Certes, les adultes nous parlaient beaucoup de l’avant-guerre, mais il y avait surtout ce que l’on voyait tous les jours. Dans la rue, un peu partout des hommes estropiés que l’on appelait « les gueules cassées », au lycée même, le concierge avec une jambe de bois et des fers qui résonnaient sur le sol de façon sinistre. Je parle dans le livre de cette présence de la guerre de 14-18. Celle de 1940 était générale. Juste au-dessus de notre appartement vivait un colonel « dégagé des cadres de l’armée pour fait de collaboration », fidèle à Pétain, qui ne cachait pas son racisme et son antisémitisme. Mais j’étais amie avec une de ses filles et, malgré les réticences de mon père, je n’hésitais pas à aller chez eux.
Est-ce que l’on travestit la réalité « historique » quand on revient sur son passé ?

D.W. : J’aime beaucoup le mot « sauver » qu’emploie Annie Ernaux pour ses souvenirs. En écrivant, je « sauve » certains moments, qu’ils soient joyeux ou douloureux. Par l’acte même d’écrire et la magie qui l’accompagne, ils trouvent leur résolution et deviennent quelque chose de beau. On se réapproprie notre histoire, qui est aussi et surtout celle des autres, en l’écrivant. Ce qui n’empêche pas la lucidité, au contraire. On dit parfois qu’on réinvente son histoire en écrivant, mais je ne crois pas. J’ai pris des notes sur des feuilles détachées toute ma vie, tous les jours, j’en ai des boîtes entières. Je ne les jamais utilisées pour écrire mon livre, car il y en a trop ! Tout récemment je me suis replongée dedans, et j’ai constaté que les pensées, les émotions, les sensations correspondent exactement avec celles évoquées dans mon livre. J’y ai décrit les mêmes faits et les mêmes interrogations qu’il y a 40 ans.
Il faut que les choses soient dites et écrites pour qu’elles existent. Maintenant je suis toute neuve pour une nouvelle vie !
Danièle Weiller Medioni
L’écriture en groupe vous a-t-elle aidée?
D.W. : Au départ je ne me voyais pas dans un atelier, en train d’écrire. Pour moi l’acte d’écrire ne peut se faire que dans la solitude, dans une grande disponibilité, avec personne autour.
En groupe le regard très bienveillant des autres m’a incitée à me lancer dans l’aventure. Par rapport à la solitude que je ressentais parfois, c’était une ouverture. Notre petit groupe a si bien marché que l’on continue à se retrouver tous les vendredis pour déjeuner !
Le fait d’échanger avec des personnes extérieures, de découvrir et de confronter nos expériences, était d’autant plus stimulant que j’ai atteint un âge où il n’y a plus pour moi de véritable enjeu…
Comment votre entourage a-t-il accueilli « Eaux Vives » ?
D.W. : La petite fille de mon mari m’a dit : « C’est passionnant. J’avais mis des rideaux sur ta vie personnelle. J’ai été très émue ». Elle est heureuse de ce que j’ai dit de son grand-père et de ma relation avec lui. Je n’en doutais pas, parce que nous avons vécu tous deux une relation exceptionnelle et une magnifique histoire. Une autre personne a été particulièrement sensible à des choses personnelles que j’avais tues jusqu’à mon âge. Notamment sur la demande d’adoption que j’ai faite en tant que femme seule… Le fait de transmettre, c’est l’inconnu, on ne sait pas ce qu’on transmet… Le seul geste de donner le livre comme un objet cela compte, je m’en suis aperçue. On ne sait pas quand les gens vont lire, mais ça ne fait rien. Ils l’ont…
Quel est votre sentiment une fois le livre imprimé ?
D.W. : Celui de commencer une nouvelle vie. Annie Ernaux dit qu’il faut que les choses soient dites et écrites pour qu’elles existent. Jusqu’ici tout cela n’appartenait qu’à moi. J’en prenais soin : autant de témoignages que je caressais comme un trésor. Maintenant que c’est à l’extérieur de moi, je n’ai plus besoin de le sauvegarder. C’est diffusé, ça suit son cours… A presque 80 ans je suis toute neuve pour une nouvelle vie !
J’écrirais autre chose certainement, cela aura sûrement trait au renouveau.
« Eaux Vives » Danièle Weiller Médioni, auto-édité chez Ravive. Egalement par la même auteure : « Revivim, regards sur un kibboutz du Neguev », Editions PC.
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